Faire grandir l'Esprit d'ouverture

La plupart des gens apprécient de simplement contempler l'immensité de l'océan, ou un paysage grandiose, du sommet d'une montagne. Juste regarder, sentir, entendre des sons auxquels on ne prête pas attention habituellement. Il est possible de faire l'expérience du calme intérieur en étant seulement entièrement disponible à ce qui se présente, sans rien chercher de spécial. Une coïncidence silencieuse.

Cependant une grande partie de notre existence se passe dans des obligations de la vie quotidienne, des événements personnels plus ou moins douloureux, la recherche sans fin de satisfactions, de bien être, de reconnaissance, d'affection etc.

Traversant les vicissitudes de la vie, les moments heureux ou malheureux, chacun se cramponne à la représentation qu'il se fait du monde et de lui même, de la naissance à la mort. En vain.

Nous sommes animés à la fois par la nécessité de maintenir notre propre existence individuelle, et ce qui en est proche (sous ses aspects matériels et psychiques), et aussi par le besoin, de nous relier à ce qui nous environne, l'espace, le monde, l'illimité.

Les deux sont tout aussi vitaux comme en témoigne l'histoire de l'humanité depuis des temps immémoriaux. Chacun peut le sentir au fond de lui même, dans sa propre existence.

Zazen, le recueillement silencieux, c'est se mettre en chemin en vue de réconcilier ces deux aspects de notre humanité, par un retour à ce qui est essentiel en chacun d'eux :

- exprimer notre personnalité pleinement en y associant des qualités propres à ouvrir notre esprit comme la lucidité, la bienveillance, la générosité, le courage, la patience, l'effort ; se connaître soi-même, s'accepter.

- ne pas s'enfermer dans ce personnage ; demeurer disponible, ouvert, à ce qui apparaît, disparaît, tel que c'est ; à l'inconnu, l'illimité, les transformations ; réaliser ainsi que cette existence est, à chaque instant, en mouvement, inséparable du monde, dans l'ignorance de ses limites.

Ces deux aspects de zazen sont exactement ajustés au mode de fonctionnement de l'esprit humain, dont la compréhension par l'expérience et par l'analyse, est l'objet des enseignements bouddhiques traditionnels. Aujourd'hui la démarche scientifique apporte une précieuse contribution à cette compréhension, en accord avec la représentation contemporaine du monde. De nombreux travaux sont publiés sur les processus cérébraux à l'origine de nos états mentaux.

Qu'est ce qui pense ?

Dans la vie quotidienne, nous nous retrouvons faces à des situations variées : réaliser certaines taches au travail, les relations au sein de la famille, avec d'autres personnes, les rencontres, les séparations, nos sensations corporelles, psychiques...

Ces situations s'accompagnent en permanence d'états mentaux, propres à chaque individu : satisfaction, insatisfaction, jugement, peur de l'échec, attirance, rejet, désir de réussir, reconnaissance etc.

Les neurosciences nous apprennent que ces états mentaux sont le résultat de mécanismes non-conscients qui font intervenir un nombre quasi infini de connexions neuronales possibles (un million de milliards !). La manière dont chacun fait face aux situations de la vie quotidienne, (décisions, émotions...) dépend de ces états mentaux, produits non consciemment. 

Étant dans l'ignorance des processus de fabrication de nos états mentaux, nous ne sommes pas libre de nos actes, de nos pensées.

Par ailleurs il n'existe pas dans la boîte crânienne de centre de décision, qu'on pourrait identifier comme « celui qui pense ".

« Aucun personnage ne tient les rênes de notre cerveau, n'en consulte les écrans ni n'en commande les gestes. Il n'existe aucun « moi » qui contemple le théâtre de la conscience : c'est le théâtre lui-même qui constitue le mécanisme du « moi «  (Le code de la conscience, Stanislas Dehaene, éd. Odile Jacob, 2014)

Comment se fabrique notre individualité, le Moi ?

Nos caractéristiques mentales, psychologiques, sont en grande partie le résultat du renforcement de réseaux neuronaux mis en activité de façon répétée en réponse à certaines situations. Ce qui se traduit par la reproduction de comportements, de réactions mentales, identiques au fil des circonstances rencontrées.

« Il n'y a pas de plus belle leçon d'humilité que de prendre conscience que le flux de notre conscience, tout ce flot d'images et de mots qui surgit en nous et forme la texture même de notre vie mentale, provient des décharges aléatoires de nos neurones corticaux, sculptés par les trillions de synapses que des années de maturation cérébrales et d'éducation ont inscrites en nous ».

« A notre insu, notre attention inconsciente évalue sans relâche les opportunités qui se présentent à l'aune de nos buts et nos systèmes de valeur ». 

(Le code de la conscience, Stanislas Dehaene, éd. Odile Jacob, 2014)

En résumé, s'identifier à qu'on appelle « nos états mentaux », nos caractéristiques psychologiques, c'est à dire les considérer comme l'expression d'un individu, MOI, est une fabrication, une illusion.

Cependant, cette « illusion » répond à une nécessité naturelle : celle de protéger cette existence et de maintenir la vie. C'est la définition même du vivant. Protéger, maintenir la vie,

Cette illusion est particulièrement ancrée chez l'être humain, étant donné les avantages que lui procure un système cérébrale très développé. C'est aussi sa faiblesse.

Qu'est ce l'Esprit d'ouverture ?

La mission du cerveau n'est pas uniquement, de manière triviale, de « donner une importance » à l'individu, en tant que tel.

Il nous met en relation avec le monde, ce qui est tout aussi nécessaire au maintien de la vie que de construire une identité. Être en relation avec le monde n'a, bien sûr, aucun rapport avec les réseaux sociaux...

L'esprit humain a la capacité de se projeter dans l'espace et dans le temps. Ce qui lui a permis par exemple de connaître de mieux en mieux son environnement naturel, d'imaginer des représentations de l'Univers, d'explorer des mondes inconnus.

Au cours de l'histoire humaine cet esprit d'ouverture au monde a souvent été corrompu par l'esprit d'appropriation personnelle, égoïste : accaparer des richesses, un territoire...Cela vaut aussi pour toutes les formes de dogmatisme, portées par des idéologies, des religions. Dans le passé, aujourd'hui.

La bonne nouvelle est que cette capacité de l'esprit de sortir d'un système de représentation centré sur soi (et ce qui lui est proche) existe bien.

Dans sa pure manifestation, c'est à dire dénuée de toute intention personnelle, cette faculté nous permet aussi d'être simplement attentif aux « bruits du monde », l'esprit ouvert dans le vaste espace. En contemplation.

Cette pure manifestation de la présence au monde rend possible la compassion, c'est à dire une attention bienveillante désintéressée envers les êtres avec lesquels on entre en contact. C'est elle aussi qui est à l'origine de la spontanéité, de l'intuition, souvent réprimées au profit du raisonnement, de la pensée discriminante, qui a tendance à surprotéger le Moi, un peu comme une mère abusive.

La pratique de zazen dans tout ça ?

Lors de la première séance de zazen, quelqu'un explique la manière de s'assoir, pour être le plus stable possible et ne pas bouger pendant une certaine durée, la concentration sur la respiration, et la mise en veille du mental. Ces trois consignes, simples, mais déroutantes, suffisent souvent à susciter l'inquiétude du Moi : ça va être difficile, je ne sais pas ce que ça va m'apporter... à moins qu'on m'assure que je vais bénéficier d'un mieux être, assez rapidement !

Si l'esprit d'ouverture reste confiné dans son coin, la personne risque de s'enfuir, ou simplement ne sera pas là !

Il est important de « réveiller » l'esprit d'ouverture,  présent pendant l'enfance et peu à peu phagocyté par le Moi dans l'age adulte.  Sans lui, il est impossible de s'extraire de son monde personnel, étroit, insatisfaisant.

Ouvrir son esprit dans la pratique du zen, c'est d'abord faire l'effort de s'assoir le plus régulièrement possible, d'être attentif à la respiration, aux sensations du corps, accepter la difficulté pour le mental (se manifestant aussi physiquement) de rester au repos.

Peu à peu la pratique de la présence va apporter une meilleure connaissance de soi, de son fonctionnement mental, ses représentations etc. préalable à une acceptation de ce Moi, qui de ce fait, aura moins tendance à faire obstacle à l'esprit d'ouverture. Du point de vue neuroscientifique certaines zones du cerveau, des réseaux neuronaux, vont se renforcer, progressivement.. Ce qui ne signifie pas que la nature inquiète du Moi va s'effacer du jour au lendemain.

Prenons le cas d'une personne qui, naturellement, a tendance à se sentir rejeter par les autres, bien qu'elle se considère comme quelqu'un d'estimable. Elle va essayer de se mettre en valeur, avec plus ou moins de succès, et comme ce sentiment de rejet va perdurer le plus souvent, elle va se sentir en échec, et rejeter les autres à son tour. Mais l'insatisfaction sera toujours là.

En revanche si cette personne prend conscience de l'instant même où apparaît cette sensation de rejet, elle comprendra qu'il s'agit d'un mécanisme qui se déclenche automatiquement précisément dans ce type de situation. Elle pourra même voir que cette sensation se combine avec d'autres, comme l'échec, le jugement, la culpabilité, la colère...qui sont entretenus quotidiennement, inconsciemment le plus souvent. Dès qu'apparaît un sentiment d'attirance, de rejet, une émotion, une insatisfaction, un mécanisme mental s'est mis en branle inconsciemment.

A l'instant même où la situation se produit (avant même que le ressenti ou l'émotion se manifeste), le mental propose une interprétation non inconsciente, qualifiant d'une certaine manière la situation - plus ou moins agréable, plus ou moins désagréable, indifférente-, ce qui entraîne la production d'une pensée d'attirance, de rejet, d'intérêt, de désintérêt... Cette interprétation est elle même produite à partir des expériences passées, et des traits de caractère de la personne ainsi mis en place au cours du temps.

Prendre conscience le plus souvent possible de l'apparition de la sensation (ou l'émotion), sans rejet, ni saisie, affaiblit l'idée d'un Moi qui ne pourra plus s'identifier durablement à cette sensation, ni à aucune autre.

Pratiquer la présence c'est aussi être complètement engagé dans la circonstance telle qu'elle se présente. En zazen, accompagner les sensations du corps, coïncider le plus possible avec l'assise, le lieu, l'espace, l'univers tout entier. 

Dans la vie quotidienne, accomplir ce qu'il y a à accomplir avec soin, détermination, sans intention personnelle maintenue, en s'oubliant soi-même. C'est difficile car encore une fois, les habitudes du mental sont fortes, et non conscientes le plus souvent.

En plus d'ouvrir l'Esprit cette pratique permet de développer la patience, la bienveillance, la détermination, la lucidité et le calme intérieur .

La véritable liberté, consiste dans la connaissance de notre propre esprit , les mécanismes mentaux, et leurs manifestations

Des outils existent en vue de créer les meilleures conditions possibles pour évoluer tout le long de notre existence. 

Pratiquer régulièrement, avec d'autres personnes, l'assise silencieuse, zazen, est l'un de ces moyens.













Lieu de l'assise silencieuse